L'affaire Thaw
Il s’est produit à Coaticook en 1913 un évènement hors du commun impliquant un homme accusé de meurtre. Harry Kendall Thaw, fils d’un millionnaire de Pittsburgh, s’évade de l’hôpital où il est détenu et vient se réfugier au Canada. Il s’en suivra tout un émoi dans la population locale. Je vous propose donc ici un récit des évènements et un regard sur la réaction populaire à ces évènements.
La saga d’Harry Kendall Thaw
Thaw

On dit de Harry K. Thaw qu’il n’était pas un enfant de chœur. En effet, plusieurs témoignages confirment qu'il aurait été un sadique à plusieurs égards envers sa femme, Evelyn Nesbit, et des animaux, en plus d'abuser de drogue forte. Ce n’est pourtant pas l’image qui sera retenue par le public.
L’origine de cette histoire remonte au 25 juin 1906 lorsque M. Thaw assassine l’ex-amant de sa femme, Stanford White, et ce, devant plusieurs centaines de personnes. L’affaire se porte évidemment devant les tribunaux et après et plus d’un million de dollars en frais juridique, Thaw est déclaré innocent pour cause de folie passagère (l’équivalent d’un verdict de non-responsabilité criminelle).
Harry Kendall
Il faut cependant savoir que sa quasi-victoire n’est pas seulement due à d’extraordinaires acrobaties juridiques de la part de ses avocats. En fait, une bonne part de ce verdict revient aux efforts de sa mère et de la fortune familiale. Celle-ci dépense beaucoup d’argent en campagnes publicitaires afin de redresser l’image de son fils, et ce, non seulement dans les journaux, mais aussi par l’entremise d’un film. On y voit Thaw comme défenseur des femmes et redresseur de torts. À l’inverse, sa victime, Stanford White, est dépeinte comme un vaurien au comportement sexuel déviant. Le reste fait partie de l’histoire : Thaw n’ira pas en prison, mais sera détenu au Matteawan State Hospital dans l’état de New York.
L’épisode suivant nous transporte quelque sept ans plus tard lors de l’évasion de Harry Thaw le 17 aout 1913. Aidé de deux complices, Thaw se rend en train et en voiture jusqu'au Canada. Les complices s’arrêtent à Saint-Herménégilde pour la nuit à l'hôtel de Benjamin Cadieux. Ce dernier, qui reconnait Thaw, alerte le chef de police de Coaticook John Boudreau le lendemain matin. Boudreau avait cependant déjà été prévenu par Burleigh Kelsea, le shérif adjoint du comté de Coos au New Hampshire. Ce dernier avait reconnu Thaw sur le train et lui a même parlé. Les deux policiers appréhendent Thaw le matin du 18 aout et le mettent dans une cellule du sous-sol de l’hôtel de ville de Coaticook pendant quelques heures, le temps que Thaw se trouve un avocat. Il choisit W. L. Shurtleff de Coaticook pour le représenter. On transfère ensuite Thaw à la prison de Sherbrooke.
Eve Nesbitt

Peu de temps après, Shurtleff dépose un bref d'habeas corpus, puisque Thaw aurait été arrêté et détenu sans savoir le motif. La procédure traine en longueur pendant trois semaines pour finalement être accordée le 3 septembre 1913. Par conséquent, Thaw est un homme libre. Cependant, durant les trois semaines qui ont précédé le jugement, le service d'immigration canadien s'empare de l'affaire et dépose une plainte pour violation des lois d'immigration. En effet, Thaw aurait omis de se présenter à un poste frontalier lors de son entrée au Canada. Il est donc arrêté sur-le-champ par les agents du service d'immigration et transporté à Coaticook au poste frontalier de la gare. Il y est détenu pendant sept jours.
Incapable de prouver qu'il est entré par un poste frontalier ou même qu'il est entré à titre de touriste, Thaw est reconnu coupable d'être entré illégalement au Canada. Il en appelle de la décision au ministre de l'Immigration, mais ce dernier la rejette le 10 septembre et Thaw est expulsé sans attendre. Il sera arrêté le jour même au Vermont par les autorités américaines. Il passera encore quelques années sous les verrous.

Evelyn et son fils
La réaction de la population
Comme nous le verrons, les efforts de la mère de M. Thaw ont été entendus jusqu’au Canada. Dès que les habitants de Coaticook apprennent que Thaw était en ville, plusieurs curieux l'attendent à la gare pour pouvoir l'apercevoir. À Sherbrooke, une foule s’amasse pour l'accueillir à la gare. Plusieurs crient « Laissez-le partir! », les gens de Sherbrooke étant au courant de l'affaire Thaw tout autant que les autres. Les journaux sont particulièrement tendres à l'endroit de Thaw et le montre comme une victime du système judiciaire, spécialement le journal le Progrès de l'Est de Sherbrooke.
Pendant son séjour à Coaticook, Harry K. Thaw est traité aux petits ognons par la population et les autorités. On lui permet de sortir et de prendre l'air. Le 5 septembre, on croyait le voir partir et la rumeur s'est répandue comme une trainée de poudre. Peu de temps après une grande foule s'amasse près de la gare pour le voir partir. « Des acclamations ont retenti lorsque l'on apprit que le fugitif de Matteawan passerait dix jours de plus à Coaticook » selon La Tribune. Toujours selon celle-ci, « [Thaw] conservera, quoi qu'il arrive, un souvenir ensoleillé de son séjour à Coaticook. La petite ville, flattée de contenir dans son sein un aussi célèbre personnage, l'a flatté, l'a fêté, l'a comblé de gâteries auxquelles il n'était plus accoutumé. » De plus, des complots se seraient formés pour mettre des bâtons dans les roues du procureur américain chargé de ramener Thaw aux États-Unis, mais il ne s’agit ici que de rumeurs.

Pire encore, selon le Progrès de l'Est, un train de Coaticookois et de Sherbrookois serait allé rejoindre le détenu à Colebrook au New Hampshire lors de son rapatriement pour lui démontrer leur soutien à un point tel que vingt hommes auraient été nécessaires pour retenir la foule. Le New York Times rapporte aussi que la police de Colebrook aurait pris ces précautions en réponse à des rumeurs voulant que des bucherons armés de Coaticook et d'ailleurs soient en route pour ramener Thaw au Canada. Au final, une foule s'est bel et bien rendue à Colebrook, mais aucun affrontement armé n'a été signalé.
Au final, on voit bien que l’argent de la famille Thaw leur a bien servi à mettre l’opinion publique de leur côté. Il va sans dire que Thaw était coupable du meurtre et qu’il aurait dû se retrouver en prison, mais l’argent et la puissance des médias ont fait leur travail et la justice n’aura été que partiellement servie.